Newsletter no 4

Chère lectrice, cher lecteur,

Qu’il s’agisse de l’initiative «Droit sans frontières», de la récente pétition lancée par la Déclaration de Berne autour de pratiques douteuses dans l’industrie du textile ou encore des multiples scandales qui éclaboussent le secteur financier, l’actualité suisse résonne de problèmes éthiques impliquant plusieurs entreprises majeures de ce pays.

Pro Ethica ne pouvait pas ne pas réagir face à cette situation. Nous profitons donc de cette newsletter pour vous annoncer le lancement, le 20 novembre prochain, d’Ethometrics, une plate-forme web développée en collaboration avec d’autres institutions pour offrir gratuitement un recensement précis et complet des abus et négligences éthiques dont sont accusées les principales entreprises suisses.

Des outils de ce type existent déjà. Mais celui que nous vous proposons repousse les limites de la classification et de l’évaluation des comportements éthiquement blâmables. Grâce à Ethometrics, il devient possible de retracer le profil éthique des entreprises dont les abus et négligences nuisent tant aux victimes immédiates qu’à l’image de la Suisse, en Suisse comme à l’étranger.

En mettant cet outil à disposition des citoyens, qui sont des consommateurs, clients et partenaires potentiels de ces entreprises, notre but est davantage informatif que militant. La Suisse a toujours eu d’excellentes capacités pour l’auto-critique; et elle a toujours su réagir dans un esprit constructif et collaboratif à ses propres problèmes, dans l’héritage des valeurs qui fondent nos institutions et notre identité culturelle.

Nous misons en tout premier lieu sur cette capacité afin que chacun tire les bonnes conclusions et agisse conformément à cet esprit. Après tout, il suffit de petits efforts répétés et partagés pour améliorer le tissu moral de la société.

Pour qu’Ethometrics puisse s’épanouir dans les meilleures conditions, nous avons aussi besoin de votre aide. Non seulement collaborative et financière (la rubrique «Faire un don» de notre site vous est ouverte), mais aussi communicationnelle: si notre projet vous intéresse, parlez-en autour de vous, à vos proches, parents, amis et collègues, de vive-voix comme sur les réseaux sociaux !

Pour cela, il suffit de leur envoyer le lien vers cette newsletter et de leur dire de placer un signet sur ethometrics.proethica.ch. Cela ne vous prendra que quelques minutes, et l’aide que vous nous apporterez sera immense.

Avec nos salutations cordiales,

Le comité de Pro Ethica


Editorial

Le but d’Ethometrics est d’offrir un recensement détaillé des abus et négligences éthiques des entreprises suisses. Cela suppose deux choses: que les entreprises sont des agents dotés d’une responsabilité, comme des personnes physiques, et que cette responsabilité est morale, c’est-à-dire dépasse le cadre des obligations déterminées par la loi et par les intérêts des actionnaires et des clients de l’entreprise. Ces deux présupposés étant souvent contestés par certaines entreprises et certains philosophes, expliquons-nous en.

L’argument contre l’idée que les entreprises sont des agents prend sa source dans l’idée que pour être un agent, il faut être capable de s’identifier comme l’origine de l’action et de l’intention dont elle procède. Or, poursuit l’argument, en agissant conformément à la décision de l’exécutif, l’employé sait qu’il réalise une intention dont il n’est pas l’origine; et le membre de l’exécutif de l’entreprise, lorsqu’il prend une décision, sait la plupart du temps qu’il n’a fait que donner l’intention d’une action qu’un autre que lui réalisera. Donc l’entreprise n’est pas capable de s’identifier comme l’origine d’actions et d’intentions dont celles-ci procèdent.

Le principal problème de cet argument est qu’il suppose que la structure de délégation entre ceux qui décident et ceux qui agissent ne leur permet pas d’identifier l’origine des actions et des intentions dont celles-ci procèdent. Mais ce présupposé est bien sûr faux. En déléguant ou en exécutant, tous les participants remplissent une fonction qui leur est assignée conformément à une procédure qu’eux-mêmes et tous les autres participants reconnaissent. Dès lors, les participants sont capables de s’identifier comme origine des actions et des intentions dont celles-ci procèdent en tant que ces actions accomplissent la fonction qui leur est assignée. Du coup, dès lors qu’une action commise par un participant est conforme à la fonction assignée à ce participant et à l’intention décidée par ceux qui ont la fonction de le faire, cette action est attribuable à l’entreprise.
Par conséquent, la seule différence avec un agent physique est que la capacité des entreprises à s’identifier comme origine d’actions et d’intention est distribuée entre tous les employés et membres de l’exécutif.

Même si les entreprises sont des agents, pourquoi penser que les entreprises ont des obligations morales, des obligations qui, pour être honorées, exigent plus que simplement suivre la loi ou accomplir les devoirs envers les actionnaires?

Contre cette idée, un argument récurrent est que si d’autres personnes que des personnes physiques avaient une responsabilité morale, alors blâmer moralement l’entreprise pour une certaine action reviendrait soit à ne blâmer personne, soit à blâmer tous les participants à l’entreprise. Pour établir cette conclusion, on peut raisonner à partir de l’argument précédent: parce que les participants se reconnaissent mutuellement des fonctions, et donc les devoirs (non-moraux) et pouvoirs spécifiés par ces fonctions, l’action de tout employé, pour autant qu’elle soit conforme à sa fonction et à la décision de l’exécutif, a pour responsable non seulement l’employé en question, mais aussi tous ceux qui lui reconnaissent la fonction dans le cadre de laquelle il a commis l’action.

Par conséquent, selon les partisans de l’argument, le blâme d’une action conforme à une fonction et à une décision de l’exécutif doit rejaillir sur tous les participants à l’entreprise, tandis que le blâme d’une action non-conforme à une fonction et à l’intention décidée par l’exécutif doit rejaillir sur le participant réalisant cette action. Dans le premier cas, cela impliquerait que des participants dépourvus du pouvoir d’empêcher l’action commise sont blâmables néanmoins, ce qui rendrait le concept de responsabilité morale des entreprises absurde; tandis que dans le second cas, ce concept ne s’appliquerait à rien du tout.

Le principal problème de cet argument est que reconnaître une fonction n’implique ni accepter ni pouvoir empêcher toute manière dont cette fonction peut être accomplie. Dès lors, tous les participants à une entreprise ne sont pas égaux devant les décisions susceptibles de conduire à des actions moralement blâmables et devant les actions moralement blâmables qui trouvent leur origine dans un abus de pouvoir. Du coup, il est faux de dire que le blâme d’une action commise au nom d’une entreprise dans le cadre de la fonction assignée doit rejaillir sur tous les participants; elle ne doit rejaillir que sur ceux qui sont à l’origine de la décision conduisant à cette action et sur ceux qui pouvaient savoir que celle-ci conduirait à une action blâmable, mais qui se sont abstenus de s’y opposer alors qu’ils avaient le pouvoir de le faire.

Pourtant, cela n’implique pas qu’il soit incorrect de dire que l’entreprise a une responsabilité morale; dire cela, c’est dire simplement que si des actions commises par des participants et attribuables à l’entreprise sont moralement blâmables, alors certains participants à l’entreprise en sont responsables, soit parce qu’ils sont à l’origine de ces actions et des intentions dont elles procèdent, soit parce qu’ils savaient que ces intentions conduiraient à des actions moralement blâmables, avaient le pouvoir de s’y opposer et néanmoins ne l’ont pas fait.

Les réponses que nous avons faites à ceux deux arguments n’épuisent pas le débat sur la question du statut des entreprises et de leur responsabilité morale. Il reste notamment à montrer de manière positive que les entreprises ont des obligations morales, et à en préciser la portée. Pour la suite du débat, rendez-vous dès le 20 novembre sur ethometrics.proethica.ch !

Prochaine newsletter: février 2013

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